Huawei : symbole de la guerre sino-américaine (2/2)
Avec la mise au ban du géant des télécoms Huawei, les États-Unis ont ouvert un nouveau front dans la guerre commerciale tous azimuts qui les oppose à la Chine. Washington considère la Chine comme sa principale menace à long terme. L’administration Trump est persuadée que seul le rapport de force pourra freiner la montée en puissance de Pékin. Les négociations entre Pékin et Washington pour mettre fin à la guerre commerciale qu’elles se livrent sont aujourd’hui dans l’impasse. Loin de s’apaiser, les tensions entre les États-Unis et la Chine pourraient s’intensifier dans les semaines à venir, alors que l’enjeu technologique domine désormais la rivalité commerciale entre les deux premières puissances économiques mondiales.
Puissance économique, taxes douanières et guerre commerciale
La Chine et les États-Unis s’affrontent depuis début 2018 dans une guerre commerciale frontale. Limiter la puissance économique chinoise grandissante est l’un des axes prioritaires de la politique de Donald Trump. Washington veut réduire son gigantesque déficit commercial avec la Chine (420 milliards de dollars en 2018). Les États-Unis désirent également obtenir de Pékin des engagements sur le respect de la propriété intellectuelle, la fin des transferts de technologie forcés ou l’abandon de subventions aux entreprises d’État. Ils accusent, en effet, la Chine de pratiques déloyales et du surendettement des pays en développement.
Depuis, les deux pays se livrent un véritable combat à coups de droits de douane, d’enquêtes et d’amendes. En juillet 2018, Trump a imposé des tarifs douaniers de 25% sur 50 milliards de dollars d’importations chinoises aux États-Unis. En septembre 2018, 200 autres milliards ont été taxés à 10% puis à 25% en mai 2019. Trump menace désormais de taxer à 25% les 325 milliards de dollars d’importations restantes. Tous les secteurs sont touchés, de l’agriculture aux cosmétiques. En retour, la Chine a taxé 110 milliards de dollars d’importations américaines. Elle a, en outre, arrêté ses achats agricoles en provenance des États-Unis.
Ultimatum de Washington, riposte de Pékin
Alors qu’un accord commercial entre les deux puissances semblait à portée de main au début du printemps, les négociations sont aujourd’hui dans l’impasse. L’échec du précédent cycle de discussions, l’imposition de nouvelles taxes et le bannissement de Huawei ont ravivé les tensions. Lundi 10 juin, Donald Trump a lancé un ultimatum à son homologue Xi Jinping, accusant Pékin de manipuler sa monnaie. Il a menacé d’imposer de nouvelles taxes douanières si le tête-à-tête entre les deux présidents prévu en marge du G20 fin juin n’avait finalement pas lieu.
De l’autre côté du Pacifique, Pékin organise sa riposte. Le vice-ministre de l’Information Guo Weimin a d’abord choisi l’ironie en soulignant que « la guerre commerciale ne rend pas sa grandeur à l’Amérique », en référence au slogan défendu par Donald Trump lors de la campagne présidentielle. Les droits de douane de 5 000 produits américains ont augmenté. Les agriculteurs américains, très dépendants du marché chinois, sont particulièrement visés.
Par ailleurs, en réaction à la décision américaine envers Huawei, Pékin a annoncé créer sa propre liste noire d’entreprises étrangères. Le ministre du Commerce chinois, Gao Feng, a ainsi exprimé sa volonté d’établir une « liste d’entités non fiables ». Elle regrouperait « des entreprises étrangères, des organisations ou des personnes qui ne respectent pas les règles du marché, l’esprit des contrats et qui obstruent ou bloquent l’approvisionnement des entreprises chinoises pour des raisons non commerciales et qui portent un préjudice sévère aux droits et intérêts des entreprises chinoises ». Les entreprises chinoises seraient, en conséquence, interdites de commerces avec celles mentionnées sur la liste noire. La première entreprise épinglée pourrait être le livreur américain FedEx.
Terres rares : l’arme secrète de Pékin ?
Au lendemain de la décision de Google de couper les ponts avec Huawei, le président chinois Xi Jinping a visité un site d’extraction de terres rares. Cette visite, officiellement sans lien avec la mise au ban d’Huawei, est en réalité un rappel en forme d’avertissement. La Chine pourrait riposter en limitant l’accès aux terres rares et les utiliser comme une arme dans la guerre commerciale. Pékin est en effet le principal fournisseur de ces métaux stratégiques qui servent à fabriquer les aimants utilisés dans toutes les nouvelles technologies – smartphones, véhicules électriques ou encore armements de pointe.
Au nombre de 17, ces terres rares sont extraites pour plus de 80% depuis le sol chinois. 90% de ces ressources sont ensuite raffinées dans des usines chinoises. C’est aussi le cas pour les terres rares provenant de l’unique mine américaine. Cette situation offre une position monopolistique stratégique à l’Empire du milieu. Les terres rares font d’ailleurs partie des rares produits chinois exemptés de taxes aux États-Unis, signe de leur importance.
La Chine peut ainsi laisser planer la menace : bloquer les exportations de ces métaux sont les États-Unis sont dépendants. Il faudrait cependant que la Chine limite les exportations pour tous pour impacter l’économie américaine. C’est une ligne rouge que Pékin ne franchira qu’en dernier ressort. Une telle décision serait vue comme une agression et pourrait se retourner contre la Chine, comme en 2010. Pékin avait alors interrompu ses exportations de terres rares vers le Japon suite à un différend territorial. L’Organisation mondiale du commerce avait ensuite condamné la Chine. Un tel scénario pourrait ruiner les efforts chinois, alors que Pékin affirme être le héraut du multilatéralisme.
Un impact sur les économies américaine, chinoise et mondiale
La guerre commerciale qui oppose la Chine aux États-Unis a d’ores et déjà des conséquences sur l’économie. Tout d’abord, les échanges entre les deux pays sont touchés. Les importations chinoises des États-Unis ont baissé de 19% en un an, quand elles ont augmenté de 6,1% vis-à-vis du reste du monde. De plus, les droits de douane touchent tous les secteurs, y compris les biens de consommation. Les consommateurs chinois et américains subiront de plein fouet la hausse des taxes. En outre, on constate un ralentissement des investissements.
En Chine, les importations se sont effondrées de 8,5% en mai. Si, contre toute attente, les exportations ont augmenté de 1,1%, la monnaie chinoise a perdu près de 3% de sa valeur par rapport au dollar depuis le début du mois de mai. Mardi 04 juin, le Fonds Monétaire International (FMI) a revu à la baisse sa prévision de croissance chinoise. À cause d’une possible nouvelle escalade des tensions commerciales, le FMI estime ainsi que la croissance de l’Empire du milieu sera de 6,2% en 2019 et 6% en 2020, contre 6,3% prévus initialement. Pire, le FMI a calculé que la hausse des tarifs douaniers pourrait amputer le produit intérieur brut mondial (PIB) de 0,3 point supplémentaire.
Un bras de fer à long terme ?
Donald Trump et Xi Jinping devraient se rencontrer fin juin à Osaka, en marge du sommet du G20. Cette rencontre sera déterminante pour trouver une porte de sortie à une situation qui s’envenime. La Chine garde la porte ouverte pour des pourparlers mais a prévenu qu’elle ne céderait pas sur d’importantes questions de principe. Elle a, par ailleurs, accusé les États-Unis de faire du « terrorisme économique » avec le recours systématique aux sanctions commerciales et aux droits de douane. En face, Donald Trump s’estime en position de force et n’acceptera que difficilement de faire des concessions.
Beaucoup d’observateurs s’attendent désormais à un conflit durable. Alors que la Chine s’est rapprochée de la Russie, certains craignent que le conflit se déplace sur le terrain militaire. Les États-Unis ont annoncé des investissements massifs dans leurs forces militaires stationnées en Asie du Sud-est. Samedi 1er juin, au forum international Shangri-La sur la sécurité (Singapour), le chef du Pentagone a mis en garde Pékin. Le ministre de la Défense chinois Wei Fenghe a sobrement répondu : « Si les États-Unis veulent parler, nous allons maintenir la porte ouverte. S’ils veulent l’affrontement, nous sommes prêts ».
Après Huawei, les fabricants de drones chinois sont également suspectés par le département de la Sécurité intérieure des États-Unis de collecter des informations sur le territoire américain. Ils présentent un « risque potentiel pour les informations d’une organisation ». En mentionnant un accès aux données par une entité tierce, le rapport fait directement référence au gouvernement chinois. La mise en garde cible l’ensemble des drones chinois mais vise principalement DJI, le leader mondial. Car, dans la guerre commerciale entre Pékin et Washington, le leadership planétaire est au centre du jeu. Celui qui perdra la partie devra abandonner son rêve de maître du monde pour un temps.